Lorsque la Côte d’Ivoire a accédé à son indépendance en 1960, le gouvernement ivoirien a fait de l’éducation une priorité nationale et a procédé à la construction d’écoles primaires, secondaires générales et techniques. Cependant, la crise économique des années 1980 et l’avènement des Programmes d’Ajustement Structurels (PAS) ont entrainé une réduction draconienne des financements de l’État en direction des écoles publiques.
Toutefois, devant la demande croissante en éducation et l’insuffisance des structures d’accueil publiques, l’État a décidé d’autoriser l’ouverture d’écoles privées sur l’ensemble du territoire national à travers une convention de concession de service public faisant en sorte que l’État subventionne largement ces écoles privées.
Dès cet instant, on a assisté à un développement des écoles privées sur l’ensemble du territoire ivoirien pour répondre à la forte demande en éducation. La privatisation, tout azimut, de l’éducation fait qu’aujourd’hui, il existe dans certaines localités dix fois plus d’écoles privées que d’écoles publiques.
Mais qu’en est-il de la qualité de l’éducation dans ces écoles privées largement subventionnées par les fonds publics ? Une vaste recherche menée par le docteur Claude Koutou répond à cette question. Le rapport de cette recherche a été dévoilé à Abidjan le 5 avril en présence de représentantes et représentants de l’Internationale de l’Éducation, du Comité syndical francophone de l’éducation et de la formation, de l’Internationale de l’Éducation Région Afrique et des six syndicats affiliés à l’IE en Côte d’Ivoire réunis au sein de l’Internationale de l’Éduction Section Côte d’Ivoire (IESCI).
Des écoles privées en mauvais état
Il ressort de cette recherche que les écoles privées, selon les réponses des enquêtés, ne sont pas toujours propres. Elles sont très sales comme l’indique 52 % des apprenants et sales pour 26 %. En matière de sécurité dans les établissements privés, les élèves avouent ne pas être en sécurité. En effet, leur école est insuffisamment sécurisée pour 56 % et insécurisée pour 23 %. Ils sont donc trois apprenants sur quatre à évoluer dans un cadre non sécurisé.
Les apprenants qui bénéficient d’une bibliothèque au sein de leur établissement sont à peine 18 %, soit moins d’un sur cinq. Les salles d’informatique sont absentes dans les établissements de l’enquête pour près de 65 % des apprenants. L’accès à internet au sein de leur établissement est inexistant pour la quasi-totalité des apprenants, soit 95 %. Les apprenants dont l’établissement dispose de laboratoire de sciences sont à peine 12 % de l’effectif des enquêtés.
De enseignants non qualifiés embauchés par les écoles privées
En ce qui concerne les enseignants, 50 % ont moins de cinq années d’expérience. En fait, recruter un enseignant diplômé d’une institution de formation des formateurs reviendrait beaucoup plus coûteux à ces établissements privés. Dans ces conditions, les fondateurs préfèrent réduire les charges en recrutant majoritairement les enseignants peu qualifiés pédagogiquement : ceux qui, la plupart du temps, ont des affinités ethniques et ne disposent pas d’autorisation d’enseigner. La raison est simple : payer moins pour gagner plus d’argent, peu importe les conséquences sur la qualité des enseignements.
Des contrats précaires pour le personnel enseignant
Les enseignants évoluent dans des situations contractuelles précaires, les contrats ne sont pas toujours explicites selon 71 % des enquêtés. Pour les 29 % des enseignants qui affirment bénéficier d’un contrat de travail, ils précisent que ce dernier n’est pas toujours respecté et que le paiement de leur salaire dépend fortement du bon vouloir de l’employeur.
De plus, dans le but de réduire leurs charges salariales, les programmes de formation définis par le Ministère ne s’appliquent pas correctement. Pire, dans certaines écoles privées, les quotas horaires par matières définis par le Ministère de l’Education Nationale ne sont pas respectés.
L’objectif : faire de l’argent et non offrir une éducation de qualité
Plusieurs problèmes, de nature différente, limitent l’efficacité des écoles privées. La principale difficulté à laquelle la majorité des écoles privées est confrontée est d’ordre financière. Ce problème est, soit lié au retard de paiement des subventions par l’Etat, soit à la difficulté de recouvrement des frais de scolarité dus par les parents d’élèves. Ce problème a un impact négatif sur le bon fonctionnement des écoles privées et réduit de façon considérable la qualité de la formation.
A chaque rentrée scolaire, de nouvelles écoles sont ouvertes, souvent par des personnes qui n’ont rien à voir avec l’enseignement et qui utilisent des « prête-noms », dans des bâtiments inappropriés, sans matériels didactiques, avec des enseignants peu qualifiés, etc. Le plus important pour ces personnes, ce n’est pas la qualité de la formation, mais uniquement le profit. En bref, c’est de la marchandisation.
De nombreuses questions
Devant ce tableau peu reluisant dressé sur de nombreuses écoles privées, l’on peut se demander comment parviennent-elles à recevoir des élèves affectés par l’État ? Comment font-elles pour obtenir les autorisations d’ouverture et le renouvellement de ces autorisations en dépit des insuffisances énumérées ? Pourquoi l’État continue-t-il d’y envoyer des élèves, alors que les fondateurs ne respectent pas les consignes de la direction pédagogique ? Pourquoi les observations faites par les agents du ministère sur les mauvaises pratiques de certaines écoles privées ne donnent toujours pas de résultats ?
Faut-il désespérer et baisser à jamais les bras, ou explorer d’autres solutions pour réduire, dans un premier temps, et arrêter, dans un second temps, la marchandisation de l’école ? La seconde approche semble plus plausible car elle peut permettre à l’école ivoirienne de retrouver son lustre d’antan. Pour atteindre cet objectif, l’État doit réorienter ses investissements en matière d’éducation dans la construction et la réhabilitation des établissements publics et réduire de façon radicale, voire renoncer au financement des écoles privées.
C’est d’ailleurs ce que demandent les syndicats ivoiriens de l’éducation qui ont entamé une vaste campagne de sensibilisation dans toutes les régions de Côte d’Ivoire. Cette campagne bénéficie de l’appui de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) qui a développé un projet de coopération avec ces syndicats.
Pour en savoir plus, voici l’étude sur la privatisation de l’école en Côte d’Ivoire: