Il y a peu de temps encore nous sortions librement, embrassions nos amis, asseyions nos élèves côte à côte dans les salles de classes, rencontrions régulièrement nos collègues dans nos activités syndicales. Pendant ce temps, nous parvenait du lointain l’histoire d’un virus qui se démultipliait et nous suivions vaguement inquiets, vaguement sceptiques les nouvelles de sa progression dans les médias.
Personne n’aurait pu prédire le basculement qui s’est opéré dans la plupart des pays, lorsque le nombre de malades et de morts s’est mis à augmenter brutalement. En date du 15 avril, le coronavirus avait tué 120 000personnes et infecté officiellement 1,9 millions de personnes dans 192 pays. Aucun pays, aucun continent n’est épargné. La crise sanitaire mondiale, inédite, nous interpelle comme citoyen ou citoyenne, enseignant ou enseignante et syndicaliste.
En tant que citoyens et citoyennes, nous devons observer les règles de sécurité sanitaire, pour nous-mêmes nos proches et les personnes autour de nous. Ces règles varient d’un pays à l’autre mais elles reposent sur le fait qu’il faut éviter les contacts directs ou indirects avec d’autres personnes, car elles sont toutes susceptibles d’être infectées. Cette situation a ainsi placé près de la moitié de la population de notre planète en « confinement » plus ou moins restrictif, sur décision des gouvernements. C’est à l’heure actuelle le seul moyen de résistance à la propagation du virus car il n’y a encore à ce jour aucun traitement pour guérir les malades, encore moins de vaccin pour prévenir la maladie. Même si les guérisons spontanées sont majoritaires, la maladie est sévère, conduisant parfois à l’hospitalisation des malades en service de réanimation ou à une issue fatale.
Enseignants ou enseignantes, nous avons pris de plein fouet la mesure de fermeture des établissements scolaires qui s’applique dans quasiment tous les pays. Selon l’Internationale de l’Education, 1,5 milliard de jeunes et 63 millions de membres des personnels de l’éducation sont ainsi privés d’école ou d’université. Nous nous sommes demandés comment faire ou que faire pour ne pas laisser les jeunes hors de toute scolarité, pour assurer une certaine continuité de l’apprentissage. Dans certains pays, enseignants et élèves utilisaient déjà régulièrement les outils numériques habilités par le ministère de l’éducation, mais ailleurs ces outils n’existent pas ou ne sont accessibles qu’à une minorité d’enseignants et d’élèves.
Les séances de cours vidéo à distance, les envois de cours ou de documents par l’intermédiaire de forum ou de messagerie, les séquences d’activités utilisant des échanges en direct ou en différé avec une classe ou un groupe d’élèves, les évaluations, tout cela a du être pensé, organisé autant que faire se peut, dans l’urgence, par les personnels de l’éducation. Mais le suivi des élèves est très aléatoire, les conditions du travail à domicile, tant pour les élèves que pour les enseignants sont très différentes et défavorables dans de nombreux cas. Beaucoup d’élèves peinent à trouver l’autonomie nécessaire pour se mettre au travail, les parents ne peuvent pas remplacer les enseignants d’autant qu’ils ont leurs propres occupations, familiales ou professionnelles.
Par ailleurs, il est de notre responsabilité d’enseignant de lutter contre les fausses nouvelles (fake news) qui se répandent si facilement sur les réseaux sociaux, véritables moteurs à rumeurs, qui accusent les uns ou les autres, prédisent le pire ou promeuvent de prétendus traitements miracles, montrent des images trompeuses. Conscients que le temps de la preuve scientifique est un temps nécessairement long, loin de l’emballement médiatique, nous devons convaincre nos élèves de ne se fier qu’à des données dûment attestées.
Notre activité syndicale est également affectée par les mesures sanitaires, devons-nous pour autant taire toutes les critiques et revendications ?
La réponse est non pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les mesures qui ont renvoyé chez eux les enseignants ont souvent laissé ces derniers seuls et démunis face à leurs responsabilités. Les réponses collectives sont plus que jamais à l’ordre du jour et l’activité syndicale consiste à les organiser, en faisant chauffer les téléphones, en programmant des réunions virtuelles. Il a aussi fallu agir pour que les enseignants, notamment les plus précaires, continuent à percevoir leur rémunération, assurer le suivi de négociations collectives en cours. Il a fallu gérer les injonctions de la hiérarchie, prônant une continuité pédagogique parfois impossible à mettre en place ou demandant que les enseignants rendent des comptes sur leur travail en temps de confinement. Et même s’il est utile que les syndicats participent aux campagnes d’information sur la maladie et les soutiennent, des questions se posent quant aux politiques qui ont détruit certains services publics, délocalisé à outrance les lieux de production, laissant la plupart des pays incapables de réagir rapidement.
Les syndicats ont conscience que l’apprentissage à distance, s’il peut se mettre en place, va accroitre les inégalités, d’autant que beaucoup d’enseignants et d’élèves ne disposent pas du matériel adapté à domicile. De nombreuses plateformes privées envahissent déjà le marché de l’enseignement à distance et, sous couvert de gratuité, captent les données des utilisateurs ou proposent des solutions commerciales offrant de meilleures fonctionnalités. Dans ce contexte, les syndicats veillent à la pertinence des outils numériques qui permettent des activités cohérentes avec les plans d’étude, à leur libre accès, notamment par une labellisation officielle, et demandent une solide formation des enseignants à leur utilisation. Ils se préparent à faire le bilan de ce qui a fonctionné ou non et doivent convaincre les gouvernements que l’enseignement à distance n’est pas le fonctionnement normal de l’école.
Cette crise sanitaire verra sans doute fleurir le pire ; les petits ou gros escrocs qui font du business sur notre santé, comme le meilleur ; la solidarité qui se développe tous azimuts. Elle sera suivie d’une crise économique qui nous interrogera plus que jamais sur les choix politiques à faire dans les années à venir. Elle renforce en tout cas notre conviction que le profit immédiat et les politiques de court terme, qui sont un vrai désastre social en temps normal, rendent vulnérables les sociétés. D’autant que l’état d’urgence sanitaire, nécessaire pour sauver des vies soulève des interrogations concernant les équilibres légitimes entre sécurité et droit de protection de sa vie privée. Au lendemain de cette crise, il sera nécessaire de répandre, par notre action citoyenne, enseignante et syndicaliste, un virus pacifique et bénéfique, la pensée d’une transition sociale et écologique, où la bonne santé des êtres humains irait de pair avec celle de la planète.
Le Bureau du Comité syndical francophone de l’éducation et de la formation (CSFEF).