Septembre noir toujours répétitif
Depuis les élections de 2006 en République Démocratique du Congo, le 15 Septembre de chaque année est réservé à la rentrée parlementaire. La rentrée parlementaire du 15 septembre 2023 sera la dernière pour cette législature 2018-2023. Si habituellement, la session ouverte reste consacrée à la session budgétaire, cette fois elle ne le sera pas, car à trois mois des élections générales, plusieurs matières, notamment électorales, seront greffées à la matière principale, le budget. L’opinion congolaise en général parle et discute de la teneur du budget tandis que la communauté enseignante se demande quoi retenir du secteur éducation durant cette législature.
Une fois de plus les espoirs déçus
L’alternance qui avait eu lieu au sommet de l’État en 2018, avait suscité beaucoup d’espoir de vrai changement dans le chef de plusieurs congolais. Et dans le secteur de l’éducation, les différents prestataires de craies et le personnel de soutien à l’éducation, attendaient voir se concrétiser les différentes promesses notamment l’amélioration de conditions de vie et de travail des enseignantes et enseignants, et les différentes réformes initiées et non achevées par le gouvernement sortant. Fort malheureusement, cinq ans plus tard, les différentes attentes sont restées une fois de plus des promesses. L’opinion enseignante se demande s’il faut continuer de faire confiance à l’homme politique congolais et à ses institutions
La gratuité de l’enseignement primaire dans les écoles publiques comme réforme phare
Certes le changement du régime a été engagé par une mesure forte et très salutaire très attendue. En effet, dès l’année 2019, la gratuité de de l’enseignement primaire a été lancée dans les écoles publiques, cette mesure tant applaudie, mettait enfin un terme à la prise en charge[1] des enseignants par les ménages, une situation qui avait perduré pendant plus de vingt ans. Cette alternative que l’on avait crue provisoire à l’époque, a été tacitement institutionnalisée pour le plus grand malheur des parents, de leurs enfants, des enseignants et de tout notre système éducatif. Certains mêmes ont poussé le raisonnement plus loin croyant que cette tentative de prendre en charge les enseignant-e-s par les parents, pouvait améliorer le vécu quotidien des enseignant-e-s et impacter directement dans le redressement du système éducatif congolais[2], malheureusement elle n’a permis à l’école congolaise de sortir du gouffre. Aussi, progressivement, cette dernière s’est enfoncée dans la médiocrité[3]. Ainsi, le nouveau gouvernement abolit cette prise en charge et lance sans atermoiement la gratuité. Mais était-elle préparée ? On passa une année à tergiverser pour chercher à savoir à quel niveau fallait-il appliquer cette politique. Deux camps se sont affrontés. Le premier camp prenant se référant à la Constitution du 18 février 2006, défendait bec et ongle qu’il fallait se limiter au niveau primaire[4]. Le deuxième camp, se référant à la loi Cadre[5], tenait mordicus que cette gratuité ne se limite pas aux écoles primaires publiques mais s’étende jusqu’aux écoles secondaires publiques au niveau de secondaire général. En tout état de cause, la gratuité quoi que mal préparée avec ses effets induits reste la seule réforme phare de ce quinquennat.
Revenons au parlement, pour voir ce qu’a été l’apport des travaux des parlementaires quant à l’amélioration de notre système éducatif à tous les niveaux. Nous savons, en effet, que parmi les missions régaliennes du parlement, il y a celle de voter le budget nécessaire qui sera affecté dans les différents secteur de la machine étatique afin d’améliorer nos conditions de vie et de travail. Or l’un des problèmes majeurs du système éducatif congolais est la modicité du budget alloué par l’État à l’éducation nationale dans son ensemble. Ce qui entraine la démotivation du corps enseignant, la vétusté et le délabrement des infrastructures. Durant ce quinquennat, de 2019 à 2022, le budget de l’éducation est passé de 20,8 % en 2019, 24,5 % en 2020, 21,8 % en 2021 et 19,0 % en 2022[6]. Toutefois, cet investissement en éducation représente seulement environ 2 % du PIB de la RDC.
Les salaires des enseignants restent des salaires de misère qui ne leur permettent pas de nouer les deux bouts à la fin du mois. En termes d’infrastructures, les effets induits de la gratuité sont très visibles, les salles de classe sont toujours pléthoriques, beaucoup d’enseignants du primaire ont atteint ou dépassé l’âge de la retraite, les infrastructures ne sont pas construites, etc.
Les parlementaires gourmands
Ce qui semble déranger la conscience nationale, c’est le fait qu’en lieu et place d’augmenter le budget de l’éducation pour un enseignement de qualité, pour l’adéquation entre l’offre de l’éducation et la demande sociale, pour une formation des valeurs éthiques et morales dans les milieux surtout universitaires, les parlementaires préfèrent augmenter leurs émoluments qui atteignent les sommes astronomiques de 21 mille dollars américains par mois. La législature s’achève sans qu’il n’y ait eu de débat de fond ni de débat d’idées sur notre système éducatif, son avenir et ses perspectives du futur. Les quelques questions orales suivies d’interpellations du ministre de l’Enseignement Primaire, Secondaire et Technique, n’étaient que du feu en l’air.
Quand vous avez des parlementaires pareils, qui se disputent plus pour leurs ventres plutôt que pour les questions substantielles sur l’avenir de la science et de l’éducation. Vous vous dites que le pays est mort. Aujourd’hui, c’est un secret de polichinelle, les pays ayant investi beaucoup plus dans l’éducation et la science, sont classés comme des pays prospère et émergents. Chez nous, on passe plus le temps à prendre les exemples des pays étrangers, alors que ces parlementaires ont tous les pouvoirs de décision pour voter des lois augmentant le budget de l’éducation, la force de contraindre le gouvernement à très bien payer tous les enseignants et enseignantes et faire de notre système éducatif, le moteur de notre développement.
La gourmandise punit ; dit-on. À la veille des élections générales, ces mêmes parlementaires n’ont aucun problème de conscience et sans honte, ils reviennent auprès des enseignants pour solliciter leurs voix. L’opinion en général et les enseignants en particulier doivent savoir opérer des choix judicieux pour envoyer au parlement les dignes fils du pays, ceux ou celles qui savent ce qu’est-ce l’État et non les jouisseurs et profiteurs.
Une autre formule peut améliorer notre système éducatif.
Le développement et la renaissance de la République Démocratique du Congo passe ipso facto par un investissement massif dans le secteur de l’éducation et une ferme volonté politique. Cela suppose d’une part que la part de l’éducation dans le budget national soit revu à hausse à la hauteur de 6 % du PIB. En effet, lors du Forum mondial sur l’éducation en 2015, les gouvernements ont accepté d’inclure dans la déclaration des critères minimaux pour le financement national et extérieur de l’éducation – le Forum recommandant d’investir au moins 4 à 6 % du PIB et/ou 15 à 20 % des dépenses publiques intérieures dans le secteur de l’éducation. L’Internationale de l’Éducation demande que les gouvernements s’engagent sans concession à investir au moins 6 % de leur PIB et/ou au moins 20 % de leurs dépenses publiques intérieures dans le secteur de l’éducation.
Par conséquent, quand bien même, nous avons atteint le 20 %, nous sommes bien loin du pourcentage du PIB recommandé par les normes internationales. Résultat, le budget demeure insuffisant en termes de qualité.
Dans ce cas, la priorité doit être mise sur la formation initiale et continue des enseignants, la construction d’infrastructures adéquates, le paiement des salaires décents des enseignants à tous les niveaux. D’autre part, il faut une volonté politique sans complaisance pour purger le système actuel et faire des réformes, écarter les maillons faibles pour donner le leadership du système entre les mains de femmes et hommes compétents et pleins de valeurs morales et éthiques. Notre pays n’a plus besoin des médiocres, des apprentis. Le pays a besoin des femmes et des hommes imprégnés de la passion pour la République.
Le pouvoir législatif a toujours été le berceau de tout développement d’un pays. C’est de là que l’exécutif trouve des moyens nécessaires pour construire le monde. Et ceux qui y siègent, sont des vrais bâtisseurs et non des aventuriers politiques sans éducation républicaine, qui ne viennent que pour leur ventre et un clientélisme politique. La législature 2018 – 2023 n’est pas parvenue à emballer notre secteur éducatif comme on l’attendait après la proclamation des résultats des élections de décembre 2018. Aucune loi phare n’a été votée, les quelques interpellations du ministre de l’Enseignement au parlement n’étaient que du bluff, le pays n’est jamais aussi descendu trop bas, on aura tout vu dans cette législature. La communauté du secteur éducatif n’attend rien de cette rentrée parlementaire car dans un contexte où aucun paramètre n’a changé, les mêmes causes produiront les mêmes effets.
FENECO/UNTC
Kinshasa – RDC
[1] En effet, réuni en Assemblée plénière du 30 août au 10 septembre 1993, l’Episcopat de l’Eglise Catholique de la République Démocratique du Congo, devant la situation scolaire qui prévalait dans le pays, avait levé l’option qu’il considérait comme le moindre mal, celle de voir les écoles fonctionner, moyennant la contribution des parents. L’objectif poursuivi par cette décision était d’éviter les années blanches à répétition, en attendant que l’État se réorganise et assume ses prérogatives régaliennes
[2] Andoche BAVUIDINSI MATONDO, Le système scolaire au Congo-Kinshasa. De la centralisation bureaucratique à l’autonomie des services, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 123.
[3] MOKONZI BAMBANOTA G., De l’école de la médiocrité à l’école de l’excellence au Congo-Kinshasa, Paris, L’harmattan, 2009, p. 59.
[4] République Démocratique du Congo, Constitution du 18 février 2006, Article 43
[5] Loi-Cadre N°14/004 du 11 février 2014 de l’Enseignement National , article 79
[6] République Démocratique du Congo, Revue conjointe 2022 ? rapport de la mise en œuvre de la Stratégie Sectorielle de l’Education et de la Formation 2016 – 2025, Kinshasa, Octobre 20222,